Le problème capital des frontières est discuté à Moscou

Mais les questions économiques demeurent à l'arrière-plan

(De notre envoyé spécial à Moscou)

Brusquement, et alors qu'on en désespérait presque, la Conférence vient de rebondir. Pour comprendre cette séance où les Quatre ont abordé la question des frontières allemandes, on doit garder à l'esprit un fait : les décisions de la Conférence de Potsdam ont provoqué une congestion de l'Allemagne. Les transferts de population ont surpeuplé son territoire désormais restreint. En donnant à la Pologne les régions agricoles de la Poméranie, on a accentué le déséquilibre économique de l'ancien Reich. Comme M. Marshall l'a fait remarqué aujourd'hui, ce pays devait importer avant la guerre un cinquième de sa nourriture. Il devrait désormais en importer les deux cinquièmes. La conséquence de cet excès de population et de ce déséquilibre économique sera d'abord une sorte de pression de l'Allemagne sur ses frontières. D'où un danger permanent pour les pays voisins. Ce sera ensuite la nécessité de surindustrialiser ce territoire restreint et nécessairement importateur. Autre danger pour le reste de l'Europe.

Ces conséquences, l'URSS ne semble pas les voir. M. Molotov reste attaché aux décisions de Potsdam comme à un principe sacro-saint. Par contre, ce danger n'échappe visiblement pas aux Anglais et encore moins aux Américains. M. Marshall l'a bien souligné aujourd'hui même. Anglais et Américains en tirent cette conclusion : ne réduisons pas trop le territoire allemand, n'enlevons pas à l'Allemagne ses principales régions et, pour le reste, relevons son niveau industriel.

En fait, c'est revenir sur les accords de Potsdam, et M. Molotov a beau jeu lorsqu'il oppose aux Anglais et aux Américains les textes de cette conférence et jusqu'à des discours précis du président Truman. D'autre part c'est restaurer bien dangereusement l'Allemagne.

La France, qui peut d'autant plus critiquer les accords de Potsdam qu'elle n'y a pas été partie, propose une autre solution. Elle se ramène à peu près à ceci : on ne peut enlever à la Pologne les territoires qu'elle a valablement considérés comme siens et qui sont une compensations aux pertes qu'elle a subies du fait de la guerre et aux cessions qu'elle a consenties à l'Union soviétique. Par contre, il faut décongestionner l'Allemagne de la population accumulée par les transferts dus aux amputations subies à l'est. Permettons une émigration rationnelle des Allemands.  En outre, remédions aux déséquilibres économiques, empêchons l’industrie de prédominer sur l'agriculture. Détachons du territoire allemand sa principale région industrielle. On ne peut faire sans danger majeur de l'Allemagne un territoire surindustrialisé comme la Belgique. Alors faisons avec la seule Ruhr cette Belgique en l'internationalisant pour qu'elle ne menace personne.

Le débat d'aujourd'hui a matérialisé ces positions. Le point central en est l'exposé du général Marshall. Celui-ci s'est déclaré d'accord pour laisser à la Pologne, le sud de la Prusse Orientale, la Haute-Silésie (sous réserve d'un régime spécial) ; par contre, il semble vouloir restituer la Poméranie à l'Allemagne. En outre, il demande qu'une commission spéciale étudie les frontières germano-polonaises, en examinant en particulier si les territoires annexés par la Pologne sont suffisamment peuplés par elle et ne pourraient pas être mieux utilisés par l'Allemagne.